Jacques Sternberg / John Berger


"La chaîne du chien, là en bas, est trop courte. Qu'on la change, qu'on l'allonge! Alors le chien pourra atteindre l'ombre, se coucher et arrêter d'aboyer. Et le silence rappellera à la femme qu'elle voulait un canari en cage dans sa cuisine. Et au chant du canari, elle abattra plus de repassage. Et les épaules du mari, dans sa chemise fraîchement repassée, lui paraîtront moins rouillées quand il ira travailler. Et en rentrant à la maison, le soir, il plaisantera parfois, comme avant, avec sa fille adolescente. Et la fille changera d'avis, elle décidera d'inviter son amoureux un soir à la maison, juste une fois. Et un autre soir, le père proposera au jeune homme d'aller avec lui à la pêche... Qui sait, dans ce vaste monde, ce qui peut arriver? Il suffit d'allonger la chaîne."
                                                                                                        John Berger, D'ici là



Au commencement, Dieu créa le chat à son image. Et bien entendu, il trouva que c'était bien. Et c'était bien, d'ailleurs. Mais le chat était paresseux. Il ne voulait rien faire. Alors, plus tard, après quelques millénaires, Dieu créa l'homme.
Uniquement dans le but de servir le chat, de lui servir d'esclave jusqu'à la fin des temps. Au chat, il avait donné l'indolence et la lucidité; à l'homme, il donna la névrose, le don du bricolage et la passion du travail. L'homme s'en donna à cœur joie. Au cours des siècles, il édifia toute une civilisation basée sur l'invention, la production et la consommation intensive. Civilisation qui n'avait en réalité qu'un seul but: offrir au chat le confort, le gîte et le couvert.
C'est dire que l'homme inventa des millions d'objets inutiles, généralement absurdes, tout cela pour produire parallèlement les quelques objets indispensables au bien-être du chat: le radiateur, le coussin, le bol, le plat à sciure, le pêcheur breton, le tapis, la moquette, le panier d'osier, et peut-être aussi la radio puisque les chats aiment la musique. Mais, de tout cela, les hommes ne savent rien. A leurs souhaits. Bénis soient-ils. Et ils croient l'être. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes des chats.

Jacques Sternberg, Les esclaves (Contes glacés)

2 commentaires:

  1. Ah je ne le connaissais pas celui-là. Il faudrait que je trouve ces contes glacés. Demain peut-être j'irai jusqu' à Brançion au marché aux livres...

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  2. Le temps passé avec un chat n'est jamais perdu. Colette

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