André Velter


Tout esprit délié repère ce qui l'attend et combien la question de la chute des temps est dure à avaler. L'indifférence, l'ironie, le progrès social, le bridge, le libertinage, la pêche à la mouche constituent des répliques appropriées, mais transitoires. Atteindre à la claire conscience de ce qui est, avec en corollaire l'appréhension sans bavure du désordre du monde, voilà qui requiert un engagement de l'être autrement périlleux. En y regardant de trop près, la première rue qui se présente est une descente aux enfers. Ici une pharmacie, un bar-tabac, une boucherie, une parfumerie, une agence de voyages; en face, un hôtel une épicerie fine, une boutique de lingerie féminine, une quincaillerie, un restaurant japonais. Et cela continue, et cela recommence, jusqu'à baliser le labyrinthe en tous sens. Frôler ces pas de porte, ces vitrines, sans curiosité aucune ni désir d'achat, suffit à rendre palpable l'avide nécessité qui les fait exister. Cela poisse, et empoisonne.
Même en marchant de travers, on suit l'alignement, coincé comme un point-virgule dans un manuel de sociologie. Telles sont, rangées, étiquetées, les alvéoles d'une ruche qui n'obéit plus qu'à une reine folle, sorte de momie bouffie qu'on gave de miel amer et qui répand indéfiniment son fortifiant message: «La règle du jeu c'est de mourir. De mourir le plus riche possible!»

    André VelterLa vie en dansant
collage Toshiko Okanoue


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