jeudi 11 avril 2024

Ça

 
Content
– content de quoi
d'être là – immobile
dans ce lieu fréquenté journellement, avec ses plantes que je connais si peu encore, qui me résistent gentiment, avec ses arbres voyageurs, ses oiseaux familiers, ses fils de soie ténus qui flottent.
Content d'être – enfin
retiré de moi-même et de l'ignorance. Content de traverser le jour comme si c'était un seul et même pays. L'énergie de ma naissance est là, à chaque instant.

Mais on ne vit pas dans un terrier sans s'inquiéter de la forêt autour, qu'elle soit radieuse ou dévastée. Autour, ça court dans tous les sens, dans tous les sangs. Ça s'acharne à avoir raison. Ça flanque des raclées, ça se multiplie, ça pleure devant ses morts, devant sa propre mort. Ça intronise le pouvoir en arrachant leurs ailes aux mouches. Ça vend du sucre aux innocents, quand ça ne marchande pas autour d'un génocide, la tête pleine d'idées fausses. Parfois ça grouille de bonnes volontés, mais ça n'aime décidément pas l'eau froide. Et ça ne fait qu'empirer. Ça ne fait que creuser, brûler, empoisonner. Ça ne fait qu'asphyxier.

Nuages. Si beaux nuages. Esprits candides.

Le feu le matin, c'est aussi pour toi, ma mère, que je le rallume. Dans la nostalgie de la neige. Dans un rêve de faussaire. La poésie nous éternise.


Andrei Tarkovsky

4 commentaires:

  1. C’est très beau. J’admire les personnes comme vous, encore capables d’observer poétiquement le monde et d’en rendre compte avec tact et délicatesse

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    1. Cher inconnu (e?) ne nous méprenons pas, la poésie n'est peut-être après tout qu'un simple antidote... Merci pour vos commentaires ça et là.

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  2. Le rythme de ton poème me plaît énormément. Il se cale sur ma respiration et, par suite, sur ma pensée.

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