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mardi 2 septembre 2025

En vrac (20) 4x4, vrac et vol de jour


Un pas de côté. Le premier, le plus héroïque. Ce jour-là, le ruban de la route a pris l’aspect d’un chemin. Puis le chemin s’est fait sentier. Toi que la modernité, tel un blessé profond, vient d’abandonner à une fin certaine, te voilà de retour dans tes rêves les plus anciens.
Tout occupé à briser des noix vertes le dos calé contre un arbre, tu vois se pointer un petit blondinet sorti de nulle part. Son écharpe bleue et ses bottes en caoutchouc te disent vaguement quelque chose. S'il te plait, dessine-moi un monde meilleur... Ok, là tu planes fort. Et sûr, tu voudrais bien lui faire plaisir au môme, seulement ton sac et ta boîte d'aquarelles sont restés dans le car. Or, soudain, dans un mouvement tu sens un truc plat et dur dans ta poche. Et c'est l'idée de génie, et tu te lèves d'un bond: le môme te regarde fracasser ton portable à coups de pierre. Voilà, dis-tu, le monde que tu veux est dans ce happening. Le p'tit gars, incrédule, d'un index péremptoire montre le ciel: tu comprends alors qu'il va te falloir grimper là-haut pour dégommer un satellite.


Victor Brauner

*

Je prendrais bien le train si les trains nous emmenaient ailleurs que dans les gares...

On roule au cul des animaux d’Afrique, au son resplendissant des tam-tam: on est con quand on a vingt ans, on est beau, on a des rêves hollywoodiens.

De la lumière au bout du couloir. Une grosse poussée et c'est l'éblouissement. Suivi d'une voix féminine : « C’est un garçon. » Pas le choix, donc.

Le programme: ils vont vider la mer pour en nettoyer le fond, ils vont mettre les pôles dans d’énormes congélateurs.

C’est l’histoire d’un homme dont le corps se détériore.
– Putain, t'as pas autre chose...?
... C'est l'histoire d'une révolte chez les œufs à la coque.

samedi 16 août 2025

En vrac (19) semoule, manche de pelle et poils de marte


L'aquarelle, c'est de l'eau mêlée à de la lumière. L'eau a ses couleurs, la lumière ses intentions.
L'aquarelle est un poème qui se passe de commentaires. Elle n'a pas d'épaisseur, mais de la profondeur.
L'aquarelle ne va jamais dans les musées, elle a trop peur de se faire écraser. Elle rêve d'un petit musée à ciel ouvert, avec une moquette d'herbe et des gardiens ailés (faites la liaison.)
Elle voyage légère et revient avec des souvenirs plus vrais que nature.
L'aquarelle a pour le monde la tendresse d'une mère.
Pour la folie des hommes, beaucoup d'indifférence.


Lucien Jacques


Et à ce propos, sais-tu ça que la vipère est bonne mère? Tranquille, peureuse et rien à voir avec le poing des Folcoche ou l'hideuse mixture des sorcières. D’ailleurs les sorcières étaient de braves filles. Mais que t’importe, on disgresse. La vipère, donc, est une bonne mère. Or tu la coupes en deux, avec ta pelle bien française, ta pelle au manche bien huilé – on ne sait jamais qui va venir par la frontière (bien française la frontière.) La vipère comprends-tu, c'est ta mère en alerte, elle protège ses petits, elle brille pour que tu la suives et toi, avec ton style de marchand de vinaigre, à chaque fois tu te fais bien baiser. La vipère baise les marchands de vinaigre.

*

Des jardins clos, un peu partout dans le monde, et des gens qui aiment les fleurs, les branches qui s'inclinent... Je viens de peindre un vieux mur moche avec un lait de chaux rose marocain. J'aimerais fêter ça. Quelqu'un pourrait m'envoyer une bonne recette de couscous aux légumes?

dimanche 27 juillet 2025

En vrac (18) lectures, zef et dragons de jardin


D'accord, qu’ils y aillent sur Mars. Qu’ils partent donc pour le grand vide, vivre sous leurs dômes de fausse félicité. Nous, nous resterons sur la Terre, fouillant les décombres à la recherche d’un ou deux morceaux de joie, de cette fleur inespérée annonçant une erre nouvelle.

Une pensée pour les mouettes manœuvrant dans l’air iodé. Pour leur science du vent, elles qui ne planent jamais plus haut que leur envergure, jamais plus loin que l’horizon marin. Sagesse d'un monde où tout est, déjà, hautement interconnecté.

Un des gros lézards verts du jardin – celui qui a perdu la moitié de sa queue dans une rencontre avec le chat! – me regarde sans bouger. Nous semblons lui et moi apprécier ce moment de silence immobile.
Les animaux me réconfortent. Ils ne vendent rien, n'inventent rien, n'attendent rien de nous. Il nous faudrait sans doute redéfinir le mot bestialité.



*

Est-ce l'âge, ou une certaine forme de soumission au réel? Je lis de moins en moins de cette littérature de fiction que l'on nomme "romans". Que lis-je alors, puisqu'il faut lire pour ne pas finir gâteux? En dehors de Yakari et de Philémon (dans les toilettes au fond du jardin) ma préférence va à la poésie (choisie selon mes goûts) et à des essais (transformés ou non) qui marquent mon ascension dans le monde résolument sérieux de l'intellect.
Bien sûr, je grossis le trait. Il m'arrive de prendre plaisir à lire une histoire. Si elle a quelque chose à me dire. Si elle ouvre sur autre chose qu'une propriété de 70 hectares. Si elle dépose en moi un limon qui rendra mon cœur fertile. Et si elle n'est pas classée au box-office des dix livres à lire ABSOLUMENT pendant votre été.

* A lire ou à relire ce billet citant Thoreau

dimanche 6 juillet 2025

En vrac (17) neurones, plumes et feuilles


Silence dominical, neuf heure, premier café au jardin. Je ferme les yeux pour me concentrer sur le fond sonore: chant du loriot (on dirait que ce gai vaurien siffle une fille) bientôt rejoint par le morse des mésanges, puis le bruit de papier froissé de nos amis les rouge-queue. Une abeille fait le tour de ma tête, passe en stéréo de mon oreille gauche à mon oreille droite. Mais cette bande-son nature est bientôt perturbé par la montée d'un tracteur, suivi de peu par le démarrage de la tondeuse d'un voisin. Disons à cent-cinquante mètres. Ici, tout résonne, à cause du silence justement. Plus tard, ce sera le moteur d'un ULM (vous bricolez un 103 Peugeot avec une toile de tente Trigano et vous obtenez à peu près ça) haut dans le ciel et poussif comme une cigogne asthmatique. Je serai, moi, en train de moudre du café, la porte de la cuisine grande ouverte.

*

Roger Dautais


Je n'aurai jamais rien fait d'autre que sauver le monde en pensée. Et encore, jamais très loin de mon assiette.

*

Pour la minute intelligente, citons Gaston Bachelard:
"Il vient un temps où l'esprit aime mieux ce qui confirme son savoir que ce qui le contredit, alors l'instinct conservatif domine, la croissance spirituelle s'arrête."

On pourra prendre également une minute pour la botanique, avec Francis Hallé:
"L'arbre est un organisme tellement généreux qu'il offre son ombre à ceux qui viennent l'abattre."

vendredi 20 juin 2025

En vrac (16) foutaises, balaise et tarte aux fraises


Qu'on n'aille pas s'imaginer que le trou du cul du monde dans lequel je vis est inaccessible à la culture. Ici aussi on goûte à la production artistique de notre temps; c'est simplement moins immédiat voilà tout. Alors, bon sang de bois, venez donc vivre à la campagne! Il y a des arbres à planter, des écosystèmes à protéger, des animaux à réhabiliter – tiens, à ce propos, merde à ces cons qui enfument les blaireautières pour zigouiller l'animal à la sortie, c'est tellement gentil les blaireaux, tellement utiles, certains vont jusqu'à ramper dans les terriers de renard pour en extraire les petits, sous prétexte que l'animal pullule – l'occasion de fêter leur bravoure devant une bonne tête de veau et une caisse de pinard. À ce pullulage des renards justement (ou cette pullulance comme on préfère) voici l'explication éco-systémique: plus on en tue et plus la race se sent en danger d'extinction, donc elle procrée en présumant des pertes, engendrant un déséquilibre dans les ressources alimentaires liées au territoire. Laissons donc la nature faire son job. Trop simple? Et oui, c'est souvent (trop) simple...

Aller, un bon gros "je t'aime" pour compenser tout ça.


Robert Motherwell

*

L'orage de grêle "effroyable et c'est bien fait pour nous" qui s'est abattu sur nos jardins et vergers début mai, a ravagé bon nombre d'arbres et anéanti presque toutes les promesses de fruits. Nous avons tout de même pu faire il y a quelques jours une tarte aux fraises. Dieu est grand, Sāhib, mais la tarte était petite.
À part ça, et malgré la chaleur qui s'installe j'ai rentré du bois.
– Qui ça?
– Du bois.
 
*

Beaucoup de sympathies pour Autre chose qui compte, le petit carré paru chez Donner à voir:
Jacques Morin et Claude Vercey, animateurs de la revue Décharge.
Christophe Jubien, pêcheur de poètes, qui m'a accueilli dans son émission.
Yves Artufel, depuis son nid d'aigle de poète-éditeur.
Valérie Canat de Chisy, poète, sur le site de Terre à ciel. 
Jean-Claude et Morgan sur leurs blogs respectifs (y'a du tam tam dans l'air)
des lecteurs(trices) qui m'ont fait passer un petit mot sympa.
À toutes et tous et de trop loin un TRÈS GRAND MERCI (de la taille du je t'aime)

mardi 3 juin 2025

En vrac (15) ombres chinoises, héron, tempi


Les bons contes font les bons amis.
Un peintre à la cour des Qin (IXième siècle av. J.C., troisième porte à gauche) devait peindre un héron. C'était une commande de l'empereur pour sa plus jeune épouse, l'oiseau étant l'emblème de la dynastie. Fier de l’honneur fait à son art, le peintre se mit aussitôt au travail. Or, cette estampe qui le voyait chaque jour plus insatisfait l'accapara pendant vingt ans. Vingt longues années durant lesquelles brûlèrent des milliers de hérons imparfaits, tandis que les guerres se succédaient dans de lointaines provinces.

Vint enfin le jour où (la plus jeune épouse avait changé cinq fois) on pria son altesse sérénissime de recevoir l'estampe définitive des mains du peintre. L’empereur vit entrer un vieux bonhomme à moitié fou, amaigri et négligé. Se souvenant du jour lointain de la commande et amusé, le prince sourit en recevant le rouleau que le vieux lui tendait en s’inclinant. Mais lorsqu'il découvrit l'œuvre on le vit soudain blêmir. Car point d'oiseau peint sur le papier de riz: à la place, trois grenouilles assises près d'un étang. C'était bien là les plus belles grenouilles jamais vues, à peine esquissées d'un trait miraculeusement vivant. Le héron? Affamé, il pouvait surgir à tout instant, ombre stupéfiante fondant sur sa proie. L'incarnation même de la nature et de ses cycles.
On peut croire que le peintre avait réussi. C’était l’œuvre d’une vie. En guise de récompense, on lui trancha la tête pour s’être ainsi moqué d'un prince.

*

Andy Goldsworthy (arbre mort, feuilles d'automne)


J'ai souvent rêvé d'un Polaroïd, cet appareil photographique instantané relevant à la fois du funambulisme et de la magie. Comme j'ai souvent rêvé d'avoir le don d'écrire des poèmes du premier jet.
M'avouant vaincu sur les deux tableaux, voici un haïku écrit en trois semaines (!)

    Ton ombre – chose banale
    pourtant c'est toi
    que le Soleil dessine

*

Le temps de vivre. Celui d'aimer, d'être libre. Le temps présent, le temps passé. Le temps d'une valse à mille temps. Le temps des cerises. Celui des œufs au plat. Le temps compté, le temps béni. L'air du temps. La nuit des. Povero tempo nostro. L'amour à plein temps. Être de son temps. Instant. Tant de temps passé à vendre tout son temps. De l'air, de l'air et du temps pour soi. Le temps nous appartient. Devrait nous appartenir... Vive l'oisiveté.
Et merci pour votre fidélité.

dimanche 4 mai 2025

En vrac (14) hasard, corbeaux et filigranes


Les armoires à livres sont une idée généreuse, mais deviennent vite un débarras totalement dépourvu d'intérêt (culture, fais-moi peur.) Pourtant, l'exception confirmera la règle. Un jour, persuadé de relever le niveau du lieu j'y ai déposé Cap au nord, un chouette roman de Robert Piccamiglio (persuadé aussi que donner ce qu'on aime est un acte de bravoure.) Mais tandis qu'un autre jour, autre village, j'y trouvais Le reste aussi c'est minuit, monologue théâtral et poétique du même Piccamiglio, j'ai senti comme un sourire amusé dans mon dos.

*

        Le fleuve Guadalquivir
        va parmi oranges et olives.
        Les deux rivières de Grenade
        descendent de la neige au blé [...]

Toute une communauté d'hommes et de femmes, des paysages vécus, des ciels impossibles à décrire dans ces quatre vers de Lorca. Le jour où la poésie ne sera plus écrite que par des IA, il n'y aura plus de mystère, et nous nous serons morts, mon frère.
(F. Garcia Lorca, Poèmes du Cante Jondo)

*

Stefana Serafinescu

Est-ce qu'on écrit encore des lettres pour le plaisir d'écrire et celui d'en recevoir, ou est-ce que ça aussi c'est mort?

*

Dernière venue dans les notes colonne de gauche: retour en Ariège.
Et puis ces mots d'Yves Artufel qui me touchent physiquement: "Couper du bois, casser du bois, scier du bois, fendre et refendre du bois, empiler le bois, rentrer le bois, ranger le bois, brûler le bois, ça fait des souvenirs bien alignés. C’est toujours un peu les mêmes quand même."

* Le reste aussi c'est minuit, 1984 Jacques Brémond

mercredi 2 avril 2025

En vrac (13) étier, ramure et gros sabots

Il est lent Rouge, il est lourd, chacun de ses pas est un exploit. C'est un vieux cheval de trait entravé par de puissants rhumatismes aux antérieurs. L'herbe rase du pré, le ciel blanc sont le décor de sa lointaine solitude. Souvent il se couche pour soulager sa misère, ou plutôt il se laisse tomber sur le flanc, impressionnant, tragique avant l'heure. Là, le soufflet de forge de sa respiration le dispute à ses pets immenses. Car il pète Rouge, à la face du monde qui l'oublie. Des chapelets interminables, à s'en pâmer d'aise.
Face à cette tonne de vie et de courage à qui je viens parfois tendre une carotte, à cet œil qui me fixe et n’aspire qu’à la confiance, mon apréhension du monde se fait beaucoup plus simple et clairvoyante. Il y a chez les animaux quelque chose qui nous surpasse, l’absence d’égo peut-être, et en même temps qui ouvre une piste à travers nos illusions.

*

J'ai rencontré il y a peu le verbe feuiller, qui veut dire se couvrir de, faire ses feuilles. Il est certains verbes qui ont tout de suite quelque chose à dire.

*

L.D - Le vent (pour une lecture de J.P. Abraham)


Une lecture de ce livre il y a vingt ans m'avait laissé dans une sorte de lassitude mêlée à de l'ennui. En tombant sur Le vent aujourd'hui, j'ai senti comme un courant d'air sur mon visage (psycho quand tu nous tient) et je l'ai relu. Est-ce moi qui ai changé (je doute que ce soit le livre!) ou bien ma vision du monde, ça je l'ignore. Toujours est-il que j'ai enfin reçu la balade de Jean-Pierre Abraham comme il se doit. En même temps qu'une leçon de poésie: les mots sont un outil banal, mais leur utilisation requière sagesse et humilité pour décrire ce que l'on ressent en même temps que ce que l'on voit. Pour faire d'eux une caméra du cœur. Un pull en bord de mer.

mercredi 12 mars 2025

En vrac (12) Racines, freinage et cigales vertes

 
C'est un fait, mal justifié, l'humain va de plus en plus vite, s'enivre de vitesse et perd son temps dans des distractions sans cesse renouvelées, tente de supplanter la pensée par l'implacable rigueur des machines, leur confiant au passage ses problèmes de santé qui eux-mêmes génèrent une croissance économique exponentielle étant donné l'existence telle qu'elle jaillit des récents travaux publics de Poinçon et Wattmann d'un dieu personnel quaquaquaqua à barbe blanche quaqua hors du temps et aujourd'hui lorsque "Hou hou" fait le hibou, la lune lui répond "envoie ton 06, chéri."
Mais.
Mais les deux pieds sur le frein et le cœur au soleil.
Dans son coin. 
Faire la vaisselle à la main: ça laisse le temps de réfléchir un peu, de respirer, de chantonner, de rêver ou de tailler la discute.
Moudre son café: bonne odeur, bon karma, et puis comme c'est low food on en boit peut-être moins.
Faire son nid. Petit à petit. Sans frénésie. Modestement.
Revenir à ce qu'on a sacrifié au fil du temps: dessiner, marcher, compter les étoiles, revoir la Provence...
"Hou hou" fait le hibou qui s'avère être une chouette. Même qu'avant on la clouait sur la porte des granges pour faire joli.


Pierre Bonnard

Depuis longtemps je photographie le ciel, comme ça pour rien, et d'ailleurs tous les collectionneurs font ça comme ça: pour rien. Il faut dire qu'il est doué le ciel, qu'il vous en fait voir des couleurs et des formes, des profondeurs de ton, des dégradés, allant jusqu'à tracer des lignes droites dans ses bons jours et se renouvelant sans cesse (ah, c'est pas comme ces artistes qui ont trouvé un filon et qui l'exploitent à donf, mais on s'égare.) Bref, le ciel, ça fait des années qu'il remplit d'air mon disque dur, insaisissable, inexploitable. Mais je photographie également la vie des arbres – et l'avis des arbres c'est que nous sommes bien bêtes. Quand je serai vieux comme une écorce j'en ferai un livre. J'ai déjà le titre: Des arbres.

* Des mots extraits de En attendant Godot se sont glissés dans les miens, les bandits.

mercredi 26 février 2025

En vrac (11) la vie d'artiste et autres égarements


Le programme du jour: subjonctif et allègements grammaticaux. Où nous trouvons la subordonnée relative contenant une nuance d'intention: il en est peu qui puissent agir ainsi. Ouais, bon, mais lorsque je croise une belle aquarelle, le subjonctif vole en éclats (bon débarras.) Sûr, demain j'arrête l'étude de la syntaxe et je m'y mets. Ou après-demain peut-être. Dans une semaine mais pas plus tard. Du papier spécial. Des poils de marte. De l'eau très pure. Avec un verbe exprimant le doute: il est peu probable qu'il peigne aujourd'hui.


Jane Rosen (merci)

*

Marie-Antoinette s'est fait construire en fond de parc une jolie bergerie au toit de chaume. Lorsque se presse en elle un désir de douceur, elle vient y cajoler ses chères brebis qui portent toutes un nom charmant: Pâquerette, Nuage, Prunelle, Neige, Épinette... Les chemins de la ferme sont d'une telle propreté qu'on y crotte à peine ses escarpins. Dans les pâtures l'herbe est rase et tendre, et les arbres qui les bordent sont des modèles du genre. Plus près de nous la mare ressemble à une peinture de Nicolas Poussin; les canards ont tous un nom charmant... Rien, ici, ne pourrait nuire à l'harmonie du monde. Par contre à la maison, nos brebis à nous n'arrêtent pas d'attraper des tiques. C'est une galère, surtout qu'en cette saison leur toison est à leur épaisseur maximum. De plus, devant la bergerie c'est un vrai bourbier, il va vraiment falloir faire quelque chose. La vraie vie, quoi.

*

Et puis ces deux vers de Rainer Maria Rilke:
    Au lieu de s'évader
    Ce pays consent à lui-même.

?... ??... !... !!!

Ce serait tellement beau.

samedi 8 février 2025

En vrac (10) Provence, cascades et poésie

 
Je suis un pessimiste actif. (Jacques Simonomis)
Voilà qui est dit, passons à autre chose.

Tous les clans de la préhistoire étaient tendus vers l'apprivoisement du feu. Ce feu qu'ils ramassaient d'abord comme l'œuf d'une bête absente après l'orage. Un jour, alors qu'un groupe de barbus jouait à la pétanque avec des silex, l'étincelle jaillit à l'occasion d'un splendide carreau. C'était le début d'une longue série chez les tireurs: à force de pétanques, on en vint finalement à installer des centrales dans la vallée du Rhône. Jean Giono* avait bien pressenti la gravité des agissements de l'homo-sapiens: toute son œuvre vise à nous attacher au vivant, à faire de nous des pacifiques gardiens de la nature, abhorrant toutes plumes dehors le côté prédateur de la Genèse.


Lucien Jacques

(*) Nous étions réunis à table, devant un bon plat mijoté avec des olives. Nous accompagnions ce festin rustique d'un côte-du-Rhône bio baptisé la résistance, tandis que m'est venu l'envie de les évoquer, lui et son pote Lucien, dans une Provence devenue idyllique à force d'autoroutes et de quartiers tentaculaires.

*

En avant la musique. Dans le bloc-note du blog (prononcez ça dix fois très vite!) j'ai posté quelques mots du poète maçon Yves Bichet, une posture que j'ai moi-même bien connue. Et puis dans une boîte à livres de village, j'ai trouvé un bouquin très chouette: Le garçon incassable de Florence Seyvos – un jeune casse-cou du nom de Buster Keaton... Voilà pour la littérature.

*

En écrivant j'aperçois par la fenêtre trois ou quatre flocons perdus dans un ciel gris. Une misère. Pas de quoi faire un poème. Je me tourne alors vers le chat qui roupille du sommeil du juste. Un poème sur l'or du silence peut-être...
À propos de Lucien Jacques et pour mémoire, il est l'auteur du fameux poème Credo: Je crois en l'homme cette ordure /  je crois en l'homme ce fumier... Si comme moi vous n'avez pas la télé, m'est avis qu'il remplacerait aisément les J.T. en les résumant tous.
Chez nous on aime les baleines, les éléphants, les lions... et le troglodyte mignon (10 grammes!) Mais ça c'est une autre histoire.

mardi 21 janvier 2025

En vrac (9) influence et légèreté


Aux arbres, citoyens / formez vos plants, vos scions / plantons / plantons / qu'un chant d'air pur / abreuve nos saisons!
Avouez que c'est tout de même plus sympa, non? Et plus engageant. Mais revenons à la poésie.

Donne ta main j'ai ton avenir, donne... Je l'avais gentiment repoussée d'un sourire, avant que dans mon dos elle n'accoste une autre fortune. Qu'aurait-elle vu dans ma paume ouverte que je ne savais déjà? Qu'aurait-elle, de sa belle divination, saisi d'un avenir que j'avais débarrassé (enfin) de toute attente inutile? Mais je reconnais qu'elle avait de l'allure dans son costume d'espoir, pas plus gitane sans doute que moi astrophysicien.
Donne ta main j'ai ton avenir, donne... Payer pour un joli mensonge, sans être dupe, c'est un peu comme aller à la fête foraine à la recherche une overdose de lumière. Je la revois sur son trottoir, reine basanée de la bonne aventureTout compte fait, j'aurais peut-être dû lui tendre une main. L'avenir se mérite.

*

Beat génération: prononcé en anglais, ça sonne classe...


Quelle jeunesse! Que d'espoir en une vie lumineuse dans cette photo à deux sous!
(Allen Ginsberg et Howard Greenberg)

        Ne possédant rien
        comme mon cœur est léger
        comme l'air est frais
                                      ISSA

*

Après avoir percuté la vitre de la porte-fenêtre, le rouge-gorge restait là, sonné sur le paillasson, son petit œil rond fort heureusement bien ouvert. Elle l'a pris délicatement dans ses mains pour le mettre l'abri – du chat entre autre. Ça ne pèse pas lourd un passereau, ça semble fragile et pourtant ça fait des prouesses, comme voler, construire un nid avec son bec, atteindre l'autonomie alimentaire (si vous fait toutes ces choses, alors écrivez-moi.)
À part ça, nous avons encore planté quelques arbres cet hiver.

vendredi 10 janvier 2025

En vrac (8) errance et culture pop


Chaussures, bonnet ou casquette c'est selon. Vagabondage d'âge en nage. Mes pas – ou ma tête! – me conduisent le plus souvent vers ces lisières qui séparent le champ du bois, la terre de l'eau, la folie des hommes de la quiétude des milieux naturels. Et seul bien sûr, on ne divague bien qu'avec soi-même, méditant mais en alerte au moindre fait marquant. On peut rester à la lisière, il y a tant à voir, ou bien la traverser.
Sans doute sommes-nous nombreux à éprouver le besoin d'aller là. Ces limites sont rarement franches, et donc d'une grande richesse. Hantées par un sentiment de féralité. Surtout dans le domaine des friches industrielles, des rails abandonnés, des zones non aménagées où des gens courent le dimanche avec leur chien, où des poètes rêvent d'être lu en suçant leur quignon, où des SDF ont passé la nuit à compter les étoiles. Et puis à force, on arrive même à en trouver en pleine ville, de ces lisières. Comme quoi, tout n'est pas pourri au royaume du Danemark.

*
 
Dernier né d'une série peu fréquentable. J'avoue avoir hésité...



Picabia et Picasso sont sur un bateau. Picabia tombe à l'eau. Le maître nageur s'appelle Michel Ange...

Elle – Dis-moi, Coco, c'est osé ton truc. Limite atteinte aux bonnes mœurs.
Moi – Penses-tu, qui connaît Picabia de nos jours...?

*

Sur mon petit bureau (70x105, pour les intimes) traîne une ancienne carte postale musicale, offerte à l'occasion d'un anniversaire. Il s'agit d'un petit âne qui couine quand on lui appuie sur le flanc. Au dos, une belle écriture manuscrite: Topaze à deux ans. J'en déduis donc qu'à l'époque on pouvait vous fabriquer ça avec une photo personnelle... Que de belles choses avons-nous perdues!

samedi 30 novembre 2024

En vrac (7) monstres et cie


Enfant, je passais toutes mes vacances à la campagne chez mes grands-parents paternels, et j'y ai connu l'hiver avec un mètre de neige et des chemins creusés depuis la route jusqu'aux portes des maisons. Quelques jours avant Noël, la nuit venue les jeunes du village faisaient le tour des foyers déguisés en je ne sais trop quoi, mais en tout cas ils me filaient une peur bleu, atterré que j'étais par la laideur des masques, attendant leur disparition dans les jupes protectrices et moqueuses de ma grand-mère.
Aujourd'hui, les monstres imaginaires me font sourire. Les vrais, ceux à figure humaine, m'attristent et leurs milliards ne valent pas un chant d'oiseau. Oh, laissez-moi encore un peu les monstres de l'hiver, laissez-moi les appeler de tous mes vœux.


Charles Freger


Je note pas mal de trucs dans mes carnets fourre-tout, et je viens de relire ça récemment: "Il semble qu'il existe dans le cerveau une zone tout à fait spécifique qu'on pourrait appeler la mémoire poétique et qui enregistre ce qui nous a charmés, ce qui nous a émus, ce qui donne à notre vie sa beauté." C'est de Milan Kundera

*

Et puis les avions qui clignotent la haut dans la nuit: où vont ces gens, assis dans le confort malgré le vide glacial qui les entourent? Je pissais au pied d'un arbre – un de mes jeunes arbres, avec amour – quand j'ai senti passer une ombre, oiseau de nuit glissant dans le silence ou ange gardien qui sait. Présence au ciel d'hiver d'Orion et de ses deux chiens: ça mon gars, c'est pur bonheur, purs dividendes: patrimoine d'une humanité consciente.

dimanche 3 novembre 2024

En vrac (6) lune, poètes et barbe à papa


Le jour d'après.
D'après mon dernier jour. D'après le vôtre.
Peut-on passer commande? Non bien sûr, sinon j'opterais pour un beau soleil radieux.
Et de l'intelligence coulant du ciel comme une lumière de saint-esprit sur la tête de chaque humain.
Mais le jour d'après sera la continuité du jour d'avant, avec de la tristesse et des tracas autour de mon absence. De la vôtre.
Nous ne verrons pas ce monde heureux. Nous n'aurons pas connu l'école du bonheur, la ville jardin, l'économie du don, ni
        ce jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
        ce jour comme un oiseau sur la plus haute branche.
Merci Louis.
Pourtant les bijoux brillent autour du cou des filles, l'alouette fait du sur-place. Et puis ces quatre vers, pour finir d'espérer:
        C'est un rêve modeste et fou
        Il aurait mieux valu le taire
        Vous me mettrez avec en terre
        Comme une étoile au fond d'un trou.

*

Au lever du soleil, la lune brillait comme la tonsure d'un moine. Marrant, mais ce n'est qu'une comparaison, cette figure de style un cran en dessous de la métaphore qui elle-même n'est pas sans faiblesse. Bon, ne boudons pas la réthorique, cette lune était particulièrement esthétique: rebondie comme la jeunesse d'une fesse...



Parmi ces jours derniers, il y a eu le 29 octobre, date de la mort de Georges Brassens. On peut s'en battre ou trinquer à sa mémoire. À cette époque j'avais une petite amie prénommée Colette. Nous avions appris la nouvelle ensemble, chez ses parents, devant leur télé couleurs. Quelques semaines plus tard Colette me quittait avec conviction: j'étais mauvais garçon, pas très comme il fallait. J'aurai dû, j'aurai pu. Dommage. Colette, si tu me lis (une chance sur un milliard et encore) sache que les couples dans les fêtes foraines de fin d'automne me rendent particulièrement nostalgiques. Avec la neige qui tombe, beaucoup d'ampoules et l'odeur de la barbe à papa, c'est parfait.

* Aragon of course.

samedi 12 octobre 2024

En vrac (5) la petite histoire


Il marche. Tous les jours il marche. La même route, même allure, la tête légèrement penchée, tournée vers le ciel et le regard qui s’éparpille. Une bouteille d'eau dans une main large. Costaud le garçon. Aller retour. Tous les jours. Par tous les temps. Quand je le croise en voiture, je le salue d'un signe de la main et il répond. Toujours. Quand je le double, je profite encore de sa présence dans le rétroviseur.
Sympathie grandissante pour cet athlète dans la marge. Elle me ramène à ma propre route intime, à mon inaptitude à devenir quelqu’un parmi les hommes. Sans doute aime t-il les bois autant que je les aime. Silence, abri mentale, un ciel entre les cimes et parfois ces craquements qui trahissent la présence d’une bête.
Je lève la main, il lève la sienne. Un éclair muet. Que personne ne voit briller.

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L'inspiration la plus commune en jazz consiste à faire du neuf avec du vieux. Le collage opère souvent de cette manière, et en tirant un peu la chose par les cheveux on pourrait appeler ça du collejazz...

Les yeux dans les seins
(d'après Gustave Caillebotte et Pierre Bonnard)


S'il fallait souligner une phrase qui les résumeraient toutes, qui en quelques mots puisse signifier l'état du monde et l'origine de tous nos maux, je choisirais celle-ci, de Pierre-Albert Birot: Si les hommes avaient mis le bonheur au dessus de tout, ils seraient restés poissons, ou même moins

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Je vais m'installer pour peler des châtaignes cuites à l'eau. Je mettrai peut-être de la musique. Peut-être écrirai-je dans ma tête un embryon de poème. Les nuages poursuivront seuls leur lente migration. Peut-être que le monde aura changé quand je rouvrirai les yeux.

dimanche 29 septembre 2024

En vrac (4) stone et chardons


Oui mon gars c'est un fait, je préférais quand le monde était stone (merci Fabienne.) Aujourd'hui, il ne s'agit plus de rêver un monde meilleur, mais de réaliser techniquement de grands rêves idiots – qu'on retrouve d'ailleurs dans la plupart des œuvres de S.F. des années 80, et même antérieurs. L'être humain va t-il réagir? Est-il déjà trop tard? La suite au prochain épisode (caniculaire.)

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Dans une interview, Kenneth White parlait de culture humaine (se cultiver) établissant un rapprochement direct avec l'agri-culture (culture du champ.) Rien à voir avec le pognon. Et rien à voir avec cette idée du "mérite" en vogue partout dans le monde. Parait que Bouddha lui-même se serait mis à l'herbe, tant tout part en c...


Hervé Ternisien

 
Autrement ça va. J'ai rentré le bois pour l'hiver (quel boulot) vidé le seau des chiottes et racheté deux poules sympas. La vie simple me va bien, même si mes voisins hyper mécanisés n'ont jamais entendu parler de sobriété volontaire et me regardent sourire en coin (le pauvre) m'asseoir devant mes chardons en fleurs.
Mais la technologie a tout de même du bon: sans bouger son petit cul, on peut redécouvrir sur le net le Radioscopie de Jacques Chancel dédié à Brassens et là, tout est signe d'intelligence. L'émission avec Jeanne Moreau n'était pas mal non plus. Petit parfum d'archéologie...  

dimanche 11 août 2024

En vrac (3) parti pris


La vie est une ascension de tous les instants. Ce genre de phrases ruinerait une carrière d'intellectuel. Un vers pour poètes libidineux, de la grossièreté pédantesque et néanmoins absconse, comme aurait dit Pierre Desproges. La vie est une ascension de tous les instants, donc, comme s'il fallait en baver pour se sentir heureux, mériter sa place dans la lumière des riches et ne plus devoir partager cet anonymat triste et dépravé qui reste le quotidien de tant de fainéants malchanceux.


L.D


Comment, vous nettoyez les chiottes? Quelle horreur, quel manque d'ambition. Perfect days, le dernier film de Wim Wenders – qui n'en est plus à un chef-d'œuvre près – me semble indispensable à qui chercherait un point d'appui, voire une confirmation, dans la voie contraire au mérite.

    Tout était beau
    ce matin-là.

    Tout semblait revenir
    des douches du dimanche.

        Mouloudji


On l'aura compris, je continue de photographier le jardin. C'est le seul voyage que je m'autorise pour le moment, empreinte carbone oblige – dit-il, cabotin. La géopoétique à deux pas de soi-même est un concept qui n'a d'égal qu'un mépris répété pour cette abomination qu'on appelle Dubaï. Et puis les fleurs, c'est pas si mal. "C'est pas si bas" disent les russes. Merci aux fleurs, au soleil jouant à travers les arbres, à la voix de Nina Simone par une journée sans complications. 

vendredi 21 juin 2024

En vrac (2) la mer


Sans raison apparente me sont revenus en mémoire les petits soldats de mon enfance, et en particulier ce lance-flammes allemand, uniformément vert, quasi invincible et dont le pouvoir défiait la poussière des meubles. Mais que de chemin parcouru depuis! D'errance. Que d'ignorances débattues au fil des méditations, des passages difficiles, des rencontres.

O mio babbino caro... La voix soprano de Lauretta s'envole sous les paupières baissées de Puccini. L'expérience du poisson d'eau douce l'amène lentement à la mer. Dont l'immensité avalera bientôt les dernières illusions.

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J'aime le cinéma de Robert Guédiguian. Il se tient fièrement comme un dernier bastion, un repère dans le vent fou des ravages. «Il faut affirmer sans cesse que rien n'est fini, que tout commence*» Il n'y a plus de cinéma, dit-on, en parlant des réalisateurs. Il n'y aura donc bientôt plus de cette si nourrissante lumière dans le noir. Alors tant pis, nous la trouverons ailleurs!


Un petit aria pour Guédiguian et pour fêter la musique.


Mer d'Aral
mer d'alors

* Dans Et la fête continue

samedi 18 mai 2024

En vrac


Un p'tit collage pour le week-end, signé Richard Vergez.

Certains (les plus curieux) ont trouvé l'accès à la page secrète du blog: un petit espace instable qui change librement de contenu. Qu'on se le dise! (j'adore cette expression de gare-champêtre.)

Si vous aviez le choix entre un bon d'achat en parfumerie et un petit poème de Jean-Luc Moreau, que choisiriez-vous...?
Pour qui choisirait le poème, le voici:

            Dans la jungle, un jour, s'aventure
            Un curé. Le tigre survient.
            «Prions» se dit l'abbé. «Seigneur, je t'en conjure,
            Fais que ce tigre soit chrétien.»
            Comment le Très-Haut se débrouille,
            La chronique n'en parle pas.
            Le fauve en tout cas s'agenouille:
            «Seigneur, dit-il, bénissez ce repas.»

Pour finir, quelques mots de Samuel Buckman:


Quand on pense à tous les poteaux téléphoniques vierges, ça laisse rêveur...